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Photo du rédacteurPierre de Roys

René de Roys - Chapitre III - Le Résistant

L’ installation à Saint Ange

Rien n’est plus laconique et précis qu’un livret militaire :

Celui du capitaine de Roys, commandant le 3° escadron motocycliste de découverte du 3° RAM , porté disparu le 18 juin 1940, ne mentionne rien des jours qui vont suivre, ni même de son entrevue du 1° septembre chez le général Pétiet à Paris.

Il note seulement une nouvelle affectation par décision ministérielle en date du 4 octobre 1940 au 8° régiment de Dragons, l’un des régiments autorisés par les clauses du traité d’armistice.

Plus laconiques encore, quatre courtes phrases vont résumer quatre années :

Placé en congé d’Armistice à compter du 4 décembre 1940

Entré dans la Résistance le 15 .11.1942

Promu Chef d’escadron le 25 06 1943

Arrêté par les allemands le 3 08.1944

Entre ces deux dates du 4 décembre 1940 et du 3 août 1944, c’est toute une vie qui va s’inscrire, avec une large partie dans un secret total, dont par petits fragments l’historique peu à peu se dévoile.

L’essentiel encore à rechercher le sera aussi dans les archives anglaises.

Villecerf, canton de Moret sur Loing, est en zone occupée.

Après les pillages franco-français du mois de juin 1940, commis davantage par la population locale et leurs épigones que par le flot des réfugiés nécessiteux, jeté sur les routes de l’exode, c’est paradoxalement l’armée allemande, la Wehrmacht par son commandement général de l’OKW, qui va restaurer l’ordre à partir dès le 29 juin en établissant à Melun la Feldkommandantur 680*, et pour quelques semaines à partir du 1° juillet à la Mairie de Moret.

A Saint Ange, l’automne 1940, la forêt est belle de ses hêtres pourpres et de ses châtaigniers aux feuilles mordorées. La maisonnée est importante, et le sera de plus en plus au fur et à mesure que l’occupation allemande se fera davantage pesante.

La marquise de ROYS a bien sûr accueilli ceux de sa famille qui sont dans la peine :

Sa mère tout d’abord, la Générale Henri Geoffroy, qui vient de perdre le dernier de ses fils Louis, père dominicain, officier aviateur, mort en reconnaissance aérienne.

Sa soeur Suzanne et ses deux enfants Christian et May, dont le mari le capitaine Léon Charles est prisonnier dans un Of.Lag ; ses deux belles sœurs et leurs enfants, Yvonne Geoffroy et Nicole Geoffroy, dont les maris, l’un officier de réserve, l’autre officier aviateur, attendent leur démobilisation définitive.

La première sera présente de manière intermittente, la seconde et ses enfants davantage pendant toutes les années de l’occupation. Un rayon de bonheur dans ces temps de chagrin : La famille de Roys s’agrandit avec un quatrième et dernier enfant reçu comme le symbole de l’espoir de la victoire et du retour à la paix. La maison vit comme une ruche.

Au petit matin, le capitaine de ROYS qui se lève avec le jour, ranime le fourneau alsacien de la salle à manger, puis adossé à la faïence, se donne chaud aux reins en prenant, vieille habitude qu’il a gardée depuis le front de 1918, une mince tranche de pain sec grillé, qu’il détrempe dans une tasse de viandox. Il part ensuite, aidé de sa canne, ayant protégé ses chaussures de leggins, dans son parc observer le gibier, base du complément de l’alimentation déjà devenue rare, et organiser le travail des bûcherons.

A son retour, il voit les enfants étudier avec leur institutrice Mademoiselle Thierry, « Miselle », pendant que la famille et le personnel vaquent aux innombrables tâches domestiques d’une grande maisonnée, extérieur, intérieur, potager, basse-cour, conserves et bocaux, travaux d’aiguille et de tricot. Il monte à son bureau et avec un crayon rouge d’un côté, bleu de l’autre, coche ses états du jour, tout en concluant ses décisions d’action.

* :Elle était installée dans les actuels bureaux du Crédit Lyonnais de Melun

Revenons un instant en arrière : Rethondes : Le 22 juin 1940, à18h50, tout sera fini.

Dans le wagon qui avait vu signer 22 ans plus tôt la fin des combats de la première guerre mondiale, le Général Huntzinger pour la France et le Général Keitel pour l’Allemagne signent l’armistice, qui fixe une zone occupée avec Paris et une zone dite libre avec la ville de Vichy où s’établira le gouvernement français.

Un garde à vous et une minute de silence à la mémoire des morts français comme allemands de ces dix mois de combats, vont réunir pour la dernière fois les représentants de deux pays. Vainqueur, vaincu, une dernière fois entre soldats, ne se serreront pas la main bien sûr , mais ils se salueront dans le respect, les français d’abord, les allemands leur rendant leur salut.

L’article 10 de la convention d’armistice va stipuler : « Le gouvernement français empêchera les membres des forces armées françaises de quitter le territoire français».

Il interdit surtout aux ressortissants français de combattre l’Allemagne ou d’être au service d’états avec lesquels l’Allemagne se trouve encore en guerre : L’Angleterre.

A 19h15 le 24 juin l’armistice sera signé avec l’Italie à la villa Incisa à Rome par le maréchal Badoglio et le général Hutzinger. La délégation française obtiendra, in extremis, du maréchal Badoglio, qu’il renonce à la livraison des émigrés politiques.

Cela ne sera pas sans influence dans notre canton de Moret et le village de Villecerf, où nombre de travailleurs italiens, maçons ou bûcherons étaient arrivés soit par la misère de leur terre, soit pour quelques-uns, parce qu’ils étaient communistes. Le cessez le feu sera sonné au clairon au début du jour de ce 25 juin sur tous les fronts.

L’entrée dans la Résistance, les filières d’évasion

En cet hiver 1940, le premier de la guerre, alors que la France abasourdie par la défaite est totalement silencieuse, une tâche prioritaire s’impose à ceux qui en veulent encore, et qui décident de continuer à servir. Une tâche prioritaire : Mettre à l’abri ceux dont la présence sur le sol français peut les exposer face à l’occupant.

Ce sont les officiers qui n’ont pas pu ou pas voulu se mettre en règle avec leur autorité, les prisonniers qui se sont évadés et qui continuent encore à le faire, des militaires étrangers encore sur le sol français, tchèques ou anglais surtout mais aussi les polonais, les juifs français ou non français, dont on commence à savoir qu’ils sont particulièrement exposés. Son action, le capitaine de Roys avait donc décidé qu’elle se passerait en France, puisqu’il n’avait pu rejoindre l’Angleterre.

Cette autre direction, après s’être entouré des conseils voulus et des soutiens indispensables, sera celle d’agir depuis sa terre de Saint Ange, en France vers l’Angleterre, comme en France occupée vers la France dite libre, où il a déjà réveillé ses contacts et renoué des amitiés. En cet hiver 1940 et pour encore plus d’un an, seule l’Angleterre porte le poids de la guerre et celui de l’espoir.

L’Amérique, les USA qui vont forger la victoire, ne rejoindront la guerre qu’après le tragique 7 décembre 1941 de Pearl Harbour.

Pour agir, il faut s’en donner les moyens et les règles. La toute première est de pouvoir circuler librement, et avec des raisons telles que cela paraisse naturel, malgré toutes les restrictions et contrôles qui viennent de s’établir, les autorisations à demander : Ce sera pour longtemps le temps des Ausweiss .

Le capitaine de Roys arrête ce qui sera sa couverture.

Il décide dès le mois de novembre 1940, de s’inscrire au « Groupement interprofessionnel forestier » syndicat professionnel de la propriété forestière, dont le comité de Gestion est établi paritairement avec l’administration par le Conservateur Régional des Eaux et Forêts. Ce dernier a compétence et pouvoir de proposition en ce qui concerne la nomination des représentants départementaux comme des délégués nationaux des propriétaires forestiers, vis-à-vis des propriétaires adhérents.

Le marquis de Roys s’y emploie immédiatement et peut se faire attribuer les responsabilités nécessaires, en étant désigné « Représentant des propriétaires forestiers de Seine et Marne » dans le « Comité de Gestion de la région de Paris ». Ainsi, il peut se déplacer de manière constante entre Paris et le siège de l’administration centrale, 132 boulevard du Montparnasse et les départements de la Seine, Seine et Marne et Seine et Oise.

Un peu plus tard, en décembre 1942, il obtiendra d’être nommé délégué régional de la région de Paris aux autres comités régionaux.

Car nombre de propriétaires forestiers en Ile de France possèdent, ou leurs familles ou encore leurs homonymes des forêts en France occupée. Ce syndicat sera un vivier et une extraordinaire opportunité pour la Résistance tout au long de la guerre.

L’exploitant forestier René de Roys, possède maintenant, dès cet hiver 1940, l’alibi incontournable pour les missions qu’il va entreprendre.

Il peut se rendre naturellement à Paris, où de plus il dispose grâce à sa belle - mère la générale Geoffroy du domicile du 3 de la rue de l’Université, maison où il s’était en partie caché jusqu’à l’armistice. L’Ile de France et la province avec l’ordre de mission voulu lui sont accessibles.

Les moyens sont là pour constituer immédiatement les relais et les points de chute indispensables qui s’avèreront nécessaires pour ce qu’on appellera les filières d’évasion.

Ces fonctions seront ensuite l’outil pour sa contribution à l’établissement de réseaux et à la coordination de personnes, partout où cela lui sera nécessaire.

Il avait immédiatement compris et intégré, que son action pour être efficace et durable, devait se situer au-delà de Saint Ange, de Villecerf, de son canton de Moret et de la région, où son personnage et sa stature étaient par trop connus, et où il ne serait guère difficile à l’autorité allemande, bien informée par l’habituelle et immédiate délation, de pointer le doigt sur lui.

Mais il lui faudra cependant savoir aussi ce qu’il en retourne chez lui, être à l’écoute, comprendre l’environnement direct, pour organiser et décider. Il lui faut aussi faire connaître et assurer lui-même ou très vite déléguer certaines liaisons.

Pour se faire, il va entreprendre très rapidement le tour local des « amis », depuis Melun où il avait été employé en 1938 - 39, à la région de Provins. Puis ce sera Montereau où il sera aidé par le jeune chirurgien, Georges Luthereau, arrivé dans les années de son mariage et qui s’est imposé comme un ami très proche et si souvent oublieux de lui-même dans une modestie qui lui faisait dire " Il faut faire ce qu'on a à faire,et se taire quand on a fini " ,le vétérinaire Henri Ballot qui peut par son métier courir toutes les fermes environnantes, ce qu’il faisait le plus souvent à cheval, le pharmacien Lepesme , ou des amis de chasse comme, entre autres, les voisins de Preuilly, les Husson.

A Moret, où il se rend régulièrement, la pharmacie tenue par un ancien de l’Action française et des Croix de Feu, le docteur Eugène Moussoir qui restera le fondateur de la Résistance dans la ville, sera au centre de ses contacts.

Il va parcourir l’Aube, le pays de sa mère, dont son grand père le Lt Colonel Richard de Roys avait été député : La route de Saint Ange par Nogent, Romilly Troyes, Brienne - le - Château le conduisait depuis son enfance à cette autre terre familiale de Crespy. L’Yonne depuis Joigny, où sa belle-sœur Nicole Geoffroy, possédait cette si belle maison à colombage détruite en juin 1940 par les bombardements italiens, et qui coule à Clamecy la ville nivernaise, où il peut retrouver son vieil ami le Docteur Pierre Paulus, lui aussi fervent patriote attaché aux valeurs immémoriales de la France légitimiste,qui embrassera la Résistance avec un esprit sorti de la Croisade : ‘’ Avec la monarchie,nous avons perdu l'honneur, Avec la religion de nos pères, la vertu chrétienne, Avec nos infructueux gouvernements,le patriotisme".

Car dans la France vaincue, une partie de la population pactise encore par obéissance doctrinaire avec l’occupant. C’est donc chez les patriotes, chez ceux d’entre eux qui ajoutaient les vertus de courage et d’abnégation au sens du devoir et du service qu’il fallait regarder.

Ce sera donc dans le corps des officiers, chez les prêtres et les religieux, chez ceux qui avaient toujours soutenu les valeurs françaises éternelles et l’esprit de victoire, chez les A. F , les Croix de feu, qu’il faudra recruter les aides, trouver les solidarités, mais ce sera aussi chez ceux, modestes et sans grade ou grands de ce monde, animés de l’amour du pays, de leur terre de France et de leur prochain. A ceux-là, il ajoutera, quelques amis anglophiles, sinon à parenté anglaise.

Savoir sur qui compter ou non, sur qui s’appuyer, commencera donc par l’analyse de l’annuaire, celui des officiers des régiments où il avait servi, des promotions qu’il avait suivies.

Un grand nombre ayant été fait prisonnier, il fallait s’assurer de ceux qui restaient et de leurs intentions. Il trouvera aussi dans les semaines et les mois qui viendront, des médecins, des fonctionnaires, des ouvriers agricoles ou d’usine, certains qu’il avait lui-même formés dans ses fonctions d’officier instructeur, ou au début de la guerre, et qu’il retrouvera au hasard d’un déplacement ou dans une situation organisée.

La notion de Maréchaliste ou de Gaulliste est loin encore d’être établie. Le temps est encore le temps des français face à la force occupante allemande, qui chaque jour s’amplifie et se structure.

Dans une action qui doit rester secrète, le secret à quand même une limite.

Des risques sont à prendre pour indiquer ce que l’on fait et ce que l’on peut faire. Le petit nombre qui aura connaissance de son action sera en cette fin 1940 et tout au long de l’année 1941, limité à ses camarades de l’armée, et essentiellement ceux de la bataille de France avec lesquels il avait combattu et qui étaient parvenus, comme lui, à échapper à l’étau allemand de la fin juin.

Dès le mois de décembre 1940, il dépose à la gendarmerie de Moret sur Loing une déclaration de perte de carte d’identité et fait aussitôt une demande d’obtention d’une nouvelle carte à la préfecture de Melun, où, à l’activité profession, il fera enregistrer « Exploitant forestier ».

Par l’affirmation de ce statut de civil, il s’efforce de masquer en toute évidence, son aspect par trop visible d’officier de l’armée française.

Dans ces premiers mois de l’occupation, il va d’abord faire recueillir et cacher chez tel parent ou tel ami à Paris, ou dans des lieux surs, les camarades dans le besoin, les anglais qui s’efforcent de pouvoir quitter la France ; ceux de ces derniers une fois retournés chez eux, lui serviront le moment venu de contact.

Mais très vite l’organisation allemande d’occupation se mettant en place avec efficacité, se réfugier en zone libre, a fortiori quitter la France devient périlleux. Pour cela, il n’y a en ce début 1941 que deux voies possibles, la Suisse mais l’accès est en zone interdite ou l’Espagne : cette dernière sera donc privilégiée.

La première filière d’évasion qu’il va établir et organiser depuis Paris impliquera à son début les officiers du 4° Hussards qu’il avait connus soit lorsqu’il y servait soit pendant la campagne de France où ce régiment était le jumeau de son 3° RAM. Faire passer les gens en Afrique du Nord et en Angleterre implique d’abord de franchir la ligne de démarcation. Elle n’est pas encore totalement close, mais les contrôles sont là, intermittents ou permanents, dans les gares et les carrefours routiers. Il faut avant tout au voyageur des raisons solides et justifiées de voyager et être muni de papiers en règles. Deux lignes d’actions seront donc prioritaires : Etablir ces faux papiers aussi crédibles et complets que possible avec ses justifications de déplacement, puis organiser un itinéraire avec ses relais soit vers la zone libre soit jusqu’à de l’autre côté de la frontière en Espagne d’abord, puis de là le Maroc ou l’Angleterre directement ou via le Portugal. Pour la première partie, quitter la France reste une action franco-française, pour la seconde il faut, en plus des relais, des soutiens et une assistance directe spécialisée dans les passages vers l’Afrique du Nord et l’Angleterre. Ceux qui sont en danger se sont généralement cachés soit dans des maisons de campagne, alors peu surveillées, soit dans l’anonymat des grandes villes. C’est pour eux qu’il faut, dans l’urgence, constituer immédiatement les solidarités capables, au long de leur itinéraire, de les aider voire de les accompagner.

Une fois pris en main, en fonction de la qualité des papiers et des justifications établis, l’évasion s’organisait, majoritairement depuis Paris via Vierzon lieu où la France libre commençait, en direction des Pyrénées. Elle se faisait généralement par sauts de puce plus ou moins grands, combinant, le train, l’autocar, parfois même la bicyclette et tous les moyens locaux que pouvaient organiser ceux en charge de tel ou tel endroit du parcours ou d’une étape. Après l’hiver 1940, où cette action était encore assez simple, les difficultés iront croissant surtout à partir de l’hiver 1942. Avec l’occupation de la zone libre, le moindre déplacement deviendra périlleux, devant être préparé avec le soin le plus méticuleux. Une des étapes essentielles, et qui sera favorisée par le capitaine de Roys pour lui-même dans son action de responsabilité au sein de la Résistance, comme pour l’acheminement de ceux qu’il avait la charge de faire passer en zone libre ou en Espagne, sera basée dans les Landes.

Il faut revenir aux années où le lieutenant de Roys servait au 4° Hussards de Rambouillet, une des villes de garnison qui vécurent intensément le grand débat sur la motorisation et l’emploi des blindés : Chars lourds, chars légers, les théories du général Estienne, un familier de la famille Geoffroy, du général Delestraint le futur patron de l’A.S, du Colonel de Gaulle dont René de Roys avait suivi quelques cours en 1920, pendant son stage d’activation. Rambouillet abritera aussi un régiment de chars de combat.

Une importante famille de civils, mais anciennement de militaires, les Castelnau, tenait maison ouverte pour messieurs les officiers dans sa belle propriété de l’avenue du maréchal Foch. Hauts gradés et jeunes aspirants y mêlaient leurs âges et leurs talents. La guerre venue, tout en conservant l’usage de cette maison de Rambouillet, les deux frères, Pierre et Philippe, se partageront entre Paris et Bazaillac - La tour de France, leur propriété landaise d’Hagetmau, où Philippe Castelnau gagnera vite la notoriété reconnue de « passeur ». Le capitaine de Roys très tôt va fidéliser cette amitié et ce soutien.

Beaucoup d’officiers de ce 4° Hussards avaient pu ne pas être fait prisonnier et certains s’échapper dans les premiers jours de leur captivité. Un nombre important de ces démobilisés devenus civils va s’employer à poursuivre dans l’ombre la lutte contre les allemands. Ceux restés sous l’uniforme mettront alors leur nouvel emploi au service de ceux que l’on nommera ensuite « les Résistants ».

Tout au long de la guerre le capitaine de ROYS retrouvera et oeuvrera grâce aux talents de ces anciens du 4° Hussards comme les capitaines d’Hémery, d’Hubert de Dompsure, le lieutenant de Lahorie…etc. Une seconde raison, également majeure, qui lui fera privilégier Hagetmau comme point de passage de la zone libre vers Hagetmau zone occupée et vice et versa, sera le poste de passage de Sainte Colombe, nœud routier à deux kilomètres de Bazaillac.

Le poste, hasard des affectations, était tenu dès l’automne 1940 par un brillant Hussard, le lieutenant prince Michel de Cantacuzène, autrefois premier aspirant du peloton du lieutenant de Roys à Rambouillet.

La demeure des Castelnau était merveilleusement située : D’un côté, son allée d’entrée débouchait sur la route départementale D 933, Mont de Marsan - Orthez et au-delà vers le col de Roncevaux et l’Espagne, de l’autre les champs et les bois.

L’anecdote témoignée par Henri Castelnau est révélatrice du type de missions et des circonstances et des risques lors de ces passages du capitaine de Roys d’une zone à l’autre :

« Il était arrivé à la maison, venant de zone libre, donc en partie à travers champs. Pour des raisons de couvre-feu, nous avions dû lui faire franchir la ligne dans l’après-midi, et l’installer à l’Hôtel de Jambon à Hagetmau pour la nuit, avant qu’il ne prenne à l’aube l’autocar à gazogène pour Laluque, petite gare de Grande Lande au nord de Dax, où s’arrêtait alors le train de Paris….Il dînait donc ce soir-là à l’Hôtel Jambon, où son seul commensal à l’autre bout de la salle -à- manger était un « Major » des troupes d’occupation. Tous les deux s’ignoraient superbement, jusqu’au moment où l’allemand, levé le premier, était passé dans le petit salon où, malgré le mauvais état du piano droit, il s’était mis à jouer avec un professionnalisme de bon aloi. N’écoutant que sa passion pour la musique classique, René de Roys rejoignait l’officier, l’écoutait religieusement et le félicitait à la fin du récital. La conversation s’était engagée avec ce personnage, qui devait se révéler être ‘Premier violon’ de l’orchestre symphonique de Berlin et manier la langue française à la perfection. L’heure tournait sans que nos compères s’en aperçoivent, jusqu’au moment où une patrouille de la Feldgendarmerie arriva, s’immobilisa brusquement pour saluer l’officier et demanda ses papiers à Monsieur de Roys. Le sous - officier fut alors interrompu par le Major qui, d’un ton péremptoire lui dit : Dieser Herr ist mein Freund (ce monsieur est mon ami). »

Pour des raisons aujourd’hui encore non établies, un nombre significatif de ceux que le capitaine de Roys s’efforcera de faire passer en Espagne, franchiront la frontière grâce à un autre réseau géré par des personnes non encore identifiées en fin de parcours et agissant sur la partie est des Pyrénées et la ville de Cerbère.

Ce second point de ces passages vers l’Espagne restera un magnifique symbole et Cerbère, un mot de code: Car Cerbère, le nom du chien tricéphale qui gardait en Grèce les Enfers, nom de cette petite commune du département des Pyrénées orientales, port, gare ferroviaire et poste frontière avec l’Espagne, lieu d’espoir pour nombre des fugitifs, Cerbère sera le nom que donnera le capitaine de Roys au vénérable érable champêtre à trois hautes tiges, qui ombrage encore le sud de la terrasse de Saint Ange.

Dans ses correspondances avec les membres de ses réseaux, Cerbère, comme d’ailleurs la femme de trente ans de Balzac et d’autres formes codées, serviront à préciser l’option de passage choisie : « Votre bel arbre de la terrasse » « une caresse à votre chien ».

En Afrique du Sud, où bien des années plus tard l’auteur de ces lignes fera la connaissance d’Henri Castelnau, venu, jeune adolescent, visiter le Saint Ange des années 1940 avec madame sa mère, ou celle du Prince Cantacuzène, tous deux établis définitivement dans ce pays, seront mis au jour bien des événements et des personnages, que l’épouse même du capitaine de Roys ignorait, tant ce dernier savait mettre le secret le plus absolu dans ce qu’il entreprenait.

Hagetmau verra passer nombre d’évadés, mais surtout nombre d’officiers envoyés ensuite sur les itinéraires reconnus et sécurisés, par le capitaine de Roys, remplir des missions spécifiques en zone libre.

L’autre itinéraire, celui de la Seine et Marne, l’Aube ou de l’Yonne, passait par la Nièvre vers le Cher et Vierzon : Moulins sur Allier, le canal latéral de la Loire faisaient partie avec Vierzon des points essentiels par lesquels les passages s’organisaient en fonction des opportunités ou complicités que l’on avait dans les postes de contrôles.

Le docteur Paulus en sera l’un des acteurs essentiels Tout cela se coordonnera en même temps qu’en zone libre l’Armée Secrète du général Delestraint montera en puissance.

En zone occupée, entre zone libre et zone occupée, avec Londres entre Londres et la France, il fallait tisser une vaste toile : Le capitaine de Roys va y construire et y tenir sa place à sa mesure.

Il partage totalement, comme bien des premiers Résistants, les convictions et le patriotisme fervent de cet homme d’exception qui va enthousiasmer et savoir fédérer des Jean Moulin, des Henri Fresnay, des hommes si différents du père Riquet à l’avocat radical -socialiste Rebeyrol.

Sans que ce soit aujourd’hui parfaitement établi, c’est très certainement par l’abbé Hénocque, l’ancien aumônier de Saint Cyr de 1920 à la guerre, plus que par le colonel Heurteaux et Charles Fornier, l’O.C.M. (Organisation Civile et Militaire) ou le groupement Valois, que le capitaine de Roys va nouer avec le charismatique général Delestraint le premier chef de l’Armée Secrète, celui qui saura enthousiasmer dès le 8 juillet 1940 tant de français comme par cet extraordinaire discours de Caylus: « La France s’écroule aujourd’hui dans un désastre effroyable. La veulerie générale en est la cause. Il dépend de nous, de vous surtout les jeunes, que la France ne meure pas… La Résurrection glorieuse de Pâques a suivi de près le sanglant et douloureux calvaire du Vendredi Saint »

Un pas définitif est franchi: Le capitaine de Roys devient‘ Michel ’dans la Résistance.

Vers la solidarité française

Trois dates vont marquer irréversiblement le cours des choses et amplifier l’activité initiale de filière d’évasion et d’organisation d’une première forme de Résistance : Ce seront d’abord les lois anti-juives, qui vont amener en retour un extraordinaire élan de solidarité chez l’immense majorité des français, y compris ceux que l’on aurait pu alors qualifier d’antisémites.

La base de l’oppression initiée par l’appareil nazi avec les premières rafles de mai 1941 à Paris, renforcée par l’outil de la loi du 2 juin 1941, durcissait celle du 3 octobre 1940 qui définissait ce que l’on appellera le statut des juifs, bientôt suivi de l’obligation infamante du port de l’étoile jaune en zone occupée. Il faudra sans attendre leur porter secours.

En second, en lançant le 22 juin 1941 avec l’opération Barbarossa l’invasion de l’union soviétique, Hitler sanctionne maintenant que chacun des deux anciens alliés avait atteint son objectif de conquête et de domination, la rupture de ce pacte germano-soviétique qui avait permis le démantèlement de la Pologne, l’assassinat des pays baltes et la défaite de la France. L’invasion va immédiatement ramener le parti communiste dans le camp français, en lui faisant privilégier jusqu’à la Libération la Marseillaise à l’internationale.

Ceux des français qui alors luttaient contre l’occupant vont, au nom de l’union nationale, accueillir les communistes, dont un petit nombre à la base avait dès 1939 désavoué sa direction et combattu. Le capitaine de Roys en accueillera et en formera un nombre important lorsque l’heure sera venue de constituer des réseaux armés en Gâtinais, où ils pourront alors démontrer lors des actions, leur courage, leur patriotisme et leur dévouement.

Enfin, à la suite des accords Saukel - Laval de mai - juin 1942, la nécessité pour les allemands de recourir massivement à la main d’œuvre française, va amplifier le transfert amiable de français dans les usines allemandes, jusqu’à ce que soit institué par les lois de septembre 1942 et du 16 février 1943, le déplacement de tous les ressortissants français de plus de 20 ans : Le STO, service du travail obligatoire était né.

Là aussi une solidarité immédiate va devoir se mettre en place pour faire sortir de zone occupée ceux qui risquent à chaque instant un départ vers l’Allemagne. Les maquis de l’Ain, du Bugey et du Vercors de l’armée secrète compteront dans leurs rangs des maquisards ayant utilisé les filières mises en place par le capitaine de Roys.

Simon Sztrumpfman alias Jean Bias,

Estéra alias Georgette Marchal,

Janette alias Jeannette Jouriste

Le capitaine et la marquise de Roys abritent et sauvent une famille juive à Saint Ange :

Que s’était-il passé entre Simon Sztrumpfman modeste maroquinier né à Varsovie en Pologne, arrivé en France en 1925, installé à Paris où il s’est marié avec Estéra Klajnhauz une compatriote de Ciechanov en 1933, pour qu’il rencontre le capitaine de Roys, et que ce dernier mette sa famille et sa maison au service de sa femme et de sa fille pour que celles-ci puissent échapper à la déportation.

Nous n’en savons rien, sinon grâce au témoignage de leur fille Janette, que cette famille juive pourra en toute extrémité échapper à la rafle du Vel d’Hiv du 16 juillet 1942, date à partir de laquelle Madame Sztrumpfman viendra se réfugier à Saint Ange, seule d’abord, alors que son mari poursuit une activité de résistance.

On sait que de 1942 au plus tard à 1944, il sera actif entre Paris et Lyon, voyageant beaucoup sous différents noms d’emprunt français comme Jean Bias, ou turc comme Dziri Déradji.

Aura-t-il été un lien entre l’A.S. lyonnaise et les réseaux A.S. en zone occupée où servait le capitaine de Roys ?

Leur fille Janette née à Paris en 1936 ne rejoindra sa mère à Villecerf qu’au second trimestre de l’année1943. Madame Sztrumpfman avait été dès son arrivée dotée de papiers au nom de Georgette Marchal, nom de famille dérivé de celui de la mère du marquis de Roys ;

Etait ce Monsieur Eugène Moussoir qui avait « arrangé » ces papiers d’identité ?

Mère et fille resteront à Saint Ange jusqu’à la libération, sans aucune nouvelle de leur mari et père, partageant la vie familiale, la mère en aidant la marquise de Roys, la fille en suivant avec les enfants de la famille les leçons de l’institutrice Mademoiselle Lucie Thierry.

Ces deux femmes, la mère avait encore beaucoup d’accent en français, la fille bien sûr n’en avait pas, vont vivre sans jamais pouvoir sortir de Saint Ange, toutes les circonstances et les angoisses de cette période, et surtout celle de l’arrestation du capitaine de Roys, que Janette relatera de manière si émouvante lors des cérémonies anniversaires de Villecerf.

La Libération ne les rassurera pas sur le sort de Simon Sztrumpfman, dont elles n’avaient d’ailleurs plus de nouvelles depuis avril 1944.

Elles resteront encore à Saint Ange jusqu’en septembre de cette année, peut-être la date où Estéra Klajnhauz aura appris la mort de son mari, arrêté, certainement torturé et vraisemblablement liquidé par les allemands ou la milice de Lyon.

Jamais les deux femmes ne pourront savoir les circonstances de la mort de ce juif résistant

*50 ans plus tard Janette Sztrumpmann devenue Madame Léon Dreyfuss reviendra à Saint Ange,et souhaitera faire attribuer au marquis et à la marquise de Roys à titre posthume la Médaille des Justes. Elle évoquera ses souvenirs personnels, par des propos très émouvants, lors de différentes manifestations officielles à Villecerf et au monument du Pimard.

Résistance en Gâtinais

A partir de fin 1943, des instructions sont données depuis Londres au capitaine de Roys pour concevoir et créer quelque chose localement à Moret sur Loing et dans son environnement. Il s’efforce alors de se renseigner sur ce qui pourra être l’encadrement de ce futur réseau à vocation de pouvoir se transformer en maquis armé le jour venu.

Mais pour lui rien ne presse, et il sait déjà sur qui il pourra compter.

Il sait aussi que la région ne se prête aucunement à la constitution physique d’un maquis armé. Ses vues s’avéreront parfaitement justes, parce que ce ne sera qu’à partir de juin 1944 que l’ordre sera donné d’activer et d’armer les réseaux, de lancer l’insurrection.

En face, le dispositif militaire d’origine allemand, avec sa Kommandantur de Melun sous les ordres, à partir de 1942, du Colonel von Karminsky et ses Feldgendarmerie, dont celle de Fontainebleau, commandée par le lieutenant Roth, va se renforcer avec l’entrée en Seine et Marne en septembre 1942, du RHSA, l’office central de sécurité du Reich allemand, mieux connu ici au travers des trois appareils de son Sichereitsdienst, son service de sûreté : la Gestapo, la Kripo, la Sipo.

Le S.D. dirigé depuis son siège du 21 rue Delaunoy à Melun, par le commandant Tuchel, puis Kranzig et pour finir par Büge arrivé en avril 1944, dispose d’une antenne à Fontainebleau, installée dans la Prison même de la ville. Mais le personnage central, rencontré quotidiennement, et qui va assurer la continuité des opérations de renseignements et de répression est Wilhelm Korf, numéro 2 du S.D. seine-et-marnais.

Il était professeur d’Histoire géographie à Magdebourg avant de rejoindre en 1937 la S.S. L’appareil nazi est peu nombreux. Tout au plus et selon les moments, Korf va diriger avec l’aide d’un assistant luxembourgeois une vingtaine de ces SS, assistés par un nombre important d’informateurs français, bénévoles ou rétribués, que l’on trouvera partout, hélas aussi dans le canton de Moret et même à Villecerf.

Quand la Milice s’établira, le mépris que les allemands avaient d’elle, la rendra peu efficace. Ils participeront cependant à bien des crimes et de d’actions répressives.

Le réseau Morétain

Ayant identifié, reconnu, pris contact avec les personnes essentielles de l’environnement local, comme celles nécessaires qui allaient avoir à s’imposer dans le déroulement de la guerre, le capitaine de Roys, en dehors des actions mises en route, va comme tant de français attendre avec impatience les ordres.

Quand et comment seront donnés les premiers, en dehors de ceux du quotidien et ceux officiels de fin 1943 ?

Un peu avant cette date sans doute, un avion Lysander venu d’Angleterre serait venu se poser à proximité sur la commune de Dormelles, entre les Grands Bois, les Bois Huard et la ferme de Bikade, déposant un officier de liaison, un radio et des instructions.

Les noms n’en sont pas connus, mais la date de fin 1942 de leur venue, depuis Londres à Saint Ange est celle attestée dans le dossier du SHAT de Vincennes.

Ce qui est certain, c’est que dès cette visite, le capitaine de Roys va s’efforcer d’identifier et de reconnaître tous les lieux de parachutages possibles et en faire état à Londres, comme en zone libre, tout en commençant à fixer les contacts avec les organisations existantes

Au premier trimestre de l’année 1944, lorsqu’il est informé que le débarquement allié s’organise, et qu’une fois sur le territoire français, les alliés auront besoin du support armé de la Résistance, le moment est donc venu de réaliser ce qu’il avait conçu et organisé et qui deviendra le Groupement FFI de Moret sur Loing.

Le recrutement sera fait homme après homme, résistant par résistant, toujours dans cette perspective d’établir un noyau de responsables qui ensuite pourra être augmenté au fur et à mesure du besoin.

L’Avonnais Jean Carles, qu’il a très tôt choisi, peut-être dans la mouvance des Carmes, sera son lieutenant et surtout l’homme des liaisons avec l’extérieur, et du commandement direct à Moret, où il sera assisté, les semaines et mois suivants, par un encadrement composé de Paul Defontenay, Robert Faule, Maurice Leblanc, René Auroy, Roland Plateau, chacun en charge initialement de seulement un ou deux hommes.

Seul le capitaine de Roys et Jean Carles ont connaissance de la composition du réseau et de son encadrement. Son expérience de lieutenant puis de capitaine instructeur lui fera mettre un soin tout particulier à organiser et à former, mais aussi à fractionner, à compartimenter les hommes qui lui avaient fait confiance, à gérer les solidarités et les amitiés. Au début 1944, seuls les premiers futurs chefs de groupe sont armés, et apprennent le maniement des armes dans les souterrains de Saint Ange, avec ses armes personnelles, avant celles provenant des futurs parachutages.

Les raisons de venir leur sont fabriquées soigneusement : Achat de bois de chauffage, travaux dans la maison et le voisinage, diverses raisons toujours justifiables…

Pour beaucoup, leurs noms ne seront connus qu’à la Libération : Carles, le lieutenant, les Chefs de groupe Defontenay, Leblanc, Plateau, Auroy, Fournier, rejoints très vite par les Florent, les Rondreux, les Noudeaux et les autres….

Le secret en sera si bien tenu qu’il arrivera que des camarades de la même ville ne sauront pas qu’ils appartenaient au même réseau.

Certains arrêtés, torturés et déportés comme Pierret ou Pingal ne parleront jamais. Ce ne sera d’ailleurs qu’avec le début du printemps 1944 que lui parviendront enfin le plan d’action avec ses objectifs à atteindre et les moyens envisageables, par les responsables de l’Armée Secrète en liaison avec Londres.

Les plans à appliquer le seront avec l’arrivée des troupes alliées. En ce début 1944, alors qu’il est encore aussi discret que possible à Villecerf et sa région, pour bien privilégier ses autres missions, très peu savent qui il est et quel est son grade réel dans la Résistance.

De même, s’il a pu identifier la plupart des organisations locales, et en particulier celle du capitaine Gaillardon à Souppes sur Loing, il restera par sécurité avec eux et dans les deux sens, dans des termes aussi distants que possible, sachant qu’il ne fallait être connu et ne connaître que pour des raisons d’absolues nécessités.

Ainsi, il ne prendra contact avec l’essentiel Gaillardon et ne lui demandera son aide que lorsque les parachutages auront été décidés, organisés et planifiés par la logistique anglaise, et que la coordination sur le terrain sera devenue nécessaire.

Il apportera alors ses compétences et son expérience. De même, par ces cloisonnements, il ne connaîtra pas certaines autres organisations, qui elles de leur côté n’auront jamais connaissance de la sienne.

Avec la perspective de la percée des Américains, la région de Nemours et celle de Montereau -Moret devenaient alors stratégiques tant pour le dispositif allié qui pouvait envisager de contourner Paris par le sud, que par la situation et les mouvements de retraite des troupes allemandes. Des parachutages auront donc à être organisés, car le temps était enfin venu de pouvoir armer les Résistants.

Les localisations judicieusement préparées depuis longtemps s’imposaient d’elles-mêmes : L’arrière-pays des villes de Nemours, Moret , Montereau, là où l’endroit assurait le plus de sécurité tant pour les armes que pour ceux qui étaient désignés pour les réceptionner puis les distribuer.

La quinzaine de parachutages planifiée par les anglais sera réussie entre la fin juin et le début août 1944

Les parachutages du Pimard

Londres avait arrêté la date du 14 juillet pour le largage de trois tonnes et demie d’armes et de munitions, par deux avions qui devaient passer sur la drop-zone choisie entre 23 heures et une heure du matin dans la nuit du 14 au 15 juillet.

Sa cravate est bleue, le message le confirmant à Michel, est diffusé en clair dès le 12 au matin. Le lieu choisi sera un champ du lieudit le Bois-Brûlé, le point limite des trois communes de Villecerf, Villemer et Dormelles, large espace encadré par des boqueteaux bien boisés, qui permettront aux feux de balisage d’être facilement vus du ciel, sans qu’ils ne puissent se voir du sol, surtout par d’éventuels passants de la route Départementale 218 Moret à Lorrez -le -Bocage par Villecerf.

Le Bois Brûlé est à quelques centaines de mètres des rares habitations et des deux fermes du petit hameau du Pimard où résident les deux frères cultivateurs Clotaire et Emile Noudeau.

Le Pimard, c’est l’extrémité nord du parc de Saint Ange, d’où l’on peut aller directement et en toute sécurité, par de nombreuses allées.

Entre ce modeste hameau du Pimard, et le Bois Brûlé, les ruines d’une petite maison, autrefois l’habitation du garde du parc de Saint Ange, jusqu’à sa destruction par les prussiens en 1871. Cette nuit du 14 juillet avance.

Certains disent avoir entendu les deux avions, mais ils ne se présentent pas sur le site. A trois heures du matin, il faut tenir que le jour va se lever, l’ordre est donné de suspendre l’opération et à ses acteurs de rentrer chez eux. Les feux de balisage sont éteints.

Carles organise le retour des « morétains », les Noudeau celui des locaux.

Le 23 juillet au matin, Londres fait diffuser à nouveau le message radio. « Sa Cravate est Bleue ». Annonçant à Michel, le nouvel essai pour le 25 juillet.

Michel,le capitaine de Roys, fait informer Jean Carles que le parachutage maintenu aura lieu le soir même vers 22 heures.

Les ordres étant donnés, Carles et les participants vont arriver comme cela avait été prévu, et se regrouper dans le parc de Saint Ange d’abord, puis à la nuit tombée dans la ferme d’Emile Noudeau.

Les bûchers de bois préparés pour faire les feux de balise sont prêts à côté des trous déjà creusés pour recueillir ensuite les braises et les cendres.

Ordre est donné de les allumer vers 21H30. A 22 heures l’avion, un seul avion se présente, et après un premier passage en faible cercle, parachute ses containers en un seul lancer avant que de disparaître dans la nuit vers le sud.

Les hommes, une dizaine, dirigés par les frères Noudeau vont s’affairer immédiatement ; dans une première étape les 10 containers sont comptés. Une fois ouverts, ils sont vidés de leur contenu. Un premier groupe convoie les containers avec leurs parachutes et les entrepose dans la cave reconnue de la maison de garde en ruine.

Une fois la totalité cachée dans cette cave, les pierres d’un des murs seront éboulées avec des gravats pour définitivement les dissimuler.

L’inventaire du contenu des containers est fait : Fusils-mitrailleurs Bren, mitraillettes Sten, pistolets Webley - Westley, munitions, explosifs et grenades. De l’argent aussi, billets de banque et pièces d’or.

L’urgence est donc qu’avant le lever du jour, tout cet armement soit mis à l’abri, sans laisser de traces. Le premier lieu d’entreposage a été fixé dans les lierres du mur de clôture qui sépare le parc de Saint Ange de ce que l’on appelle le petit parc, et qui en réalité est le côté sud boisé d’arbres rares du jardin attenant à la maison.

Pour ne pas laisser de traces, les hommes brancarderont à bras ou à brouette depuis le champ du bois brûlé, jusqu’à l’arrière de la ferme de Clotaire Noudeau, les deux à trois tonnes de matériel, qui seront ensuite chargées sur une charrette à cheval, pour être amenées sur une distance d’un kilomètre et demi, par les allées du parc, au lieu même de leur entreposage. Les « Morétains » pouvaient rentrer.

Une par une elles seront soigneusement cachées sous les lierres du mur, côte parc.

Quant aux caissettes de munitions, des espaces entres les grandes roches de la futaie- plaine ou des anciens trous de meules de charbon de bois feront l’affaire.

Cet exténuant travail sera assuré par les Noudeau aidés de Carles et des locaux soigneusement choisis pour d’évidentes raisons de sécurité, par le capitaine de Roys.

Dans ce petit groupe, une toute jeune fille, la filleule d’Emond Dupray arrêté et déporté en 1943, Marguerite Pelletier.

Comment cela est-il arrivé, personne ne le saura jamais, mais dès le 28 au matin, la rumeur se répand à Moret et arrive aux oreilles de Carles, qu’un parachutage aurait eu lieu à Villecerf. La gendarmerie allemande a installé aussitôt des barrages tout autour de Moret et surtout sur toutes les routes qui partent de Villecerf.

Ils viennent à Saint Ange fouiller les bâtiments des fermes et les souterrains, et bien sûr n’y trouvent rien. Mais l’alerte est donnée, et les armes sont nécessaires.

Elles doivent parvenir à destination. Le capitaine de Roys va donc prendre les décisions suivantes : Le 30 juillet, tôt au matin, un tombereau attelé à un cheval est chargé de bois de chauffage et de bourrées camouflant la grande majorité des armes et des munitions qui étaient stockées dans le parc.

Il sera conduit par Raymond Noudeau, fils de Clotaire alors âgé de 16 ans, dont on se sert de la jeunesse.

Raymond Noudeau ne sait pas autre chose sinon qu’il doit conduire ce chargement de bois, d’abord à Moret, chez Maurice Viratelle le fleuriste de la rue du Champ de Mars ensuite chez Maurice Leblanc au 63 de la rue Victor Hugo à Veneux- les – Sablons.

Bien sûr, et à son insu, le chargement conduit par Raymond Noudeau sera, en permanence, habilement surveillé par des éclaireurs : Plateau et Leblanc, et avec angoisse lorsqu’il aura à franchir les deux barrages allemands établis au long de son parcours.

Ce même 30 juillet, la mission terminée Carles pourra apprendre à Defontenay que le capitaine de Roys l’a nommé chef de section permanent des trois groupes qui constituent le groupement Moret - Veneux.

L’arrestation

Chaque fois qu’un parachutage réussi venait à leur connaissance, les allemands agissaient pour arrêter leurs acteurs ou leurs responsables, à défaut de pouvoir récupérer les armes. Ainsi Wilhelm Korf, le bras droit depuis 1941 des commandants du S .D. allemand en Seine et Marne, ira-t-il en personne le 24 juillet massacrer les oblats de la Brosse Montceau, après le parachutage réussi du 18 juillet 1944. Le lendemain du massacre, le docteur Georges Luthereau ira sortir un par un du puits où les S.S. les avaient jetés les corps des malheureux moines assasinés.

Comme toujours les allemands et leurs contacts locaux, à défaut de savoir où avait eu lieu le parachutage du 25 juillet, l’avaient à peu près localisé au sud de Moret, par le bruit des moteurs d’avion, bruit que la nuit amplifie toujours.

Villecerf et sa région leur apparaissait être le lieu probable. Ce parachutage « au sud de Moret » leur est confirmé par plusieurs informations de diverses sources. Aussi la direction du SD de Melun donne l’ordre à ses agents d’aller activer leurs habituels informateurs.

Il y en avait hélas plusieurs à Villecerf, bien connus pour cela et depuis longtemps. Les dénonciations à Melun ont dû être cette fois de qualité, car il est décidé d’envoyer deux agents de la gestapo en civil à Villecerf où ils arrivent le 27 juillet.

L’un deux est un alsacien.

Ils s’établissent dans la maison de l’un de leurs informateurs et commencent à mener grand train dans les bistrots du village, dans l’espoir qu’en faisant boire les clients voire les patrons, ils les feraient parler, leur apprenant ainsi le lieu du parachutage, celui de la cachette des armes, comme les noms des réceptionnaires.

Deux à trois jours se succèdent, les deux civils allemands restant en permanence à Villecerf sauf pour aller rendre compte à Fontainebleau.

Bien sûr, ils ne peuvent pas ne pas apprendre que le marquis de Roys qui vit au château, est un ancien officier, qu’il est donc nécessairement de l’autre côté…. !

N’a-t-il pas été déjà plusieurs fois dénoncé à Fontainebleau et à Melun ?

Saint Ange regorge de souterrains et de cachettes, c’est un lieu idéal pour entreposer les armes.

Mais ces fameux souterrains ont déjà été fouillés méticuleusement plusieurs fois depuis 1943 et les premiers parachutages par la Feldgendarmerie dans le cadre de précédentes dénonciations. Rien n’y a été trouvé, lors de la dernière fouille effectuée en présence du marquis, qui s’est révélé être un paisible forestier. Rapport de tout cela a été fait et transmis au major Korf à Melun mais aussi à Paris.

Les informateurs habituels donnent les habituelles dénonciations sans preuves, et les villecerfois qui ne savent rien, ne peuvent donc rien dire, d’autant qu’avec une prudence de bon aloi, le capitaine de Roys n’aura recruté aucun villecerfois, et qu’aucun des villageois n’aura appartenu à une quelconque organisation de Résistance.

Toutefois la Feldgendarmerie est requise de fouiller les bois de la Montagne de Train et ses dépôts de pavés de grès. Le résultat est négatif mais fait monter la pression. Melun et Fontainebleau s’impatientent. Les armes doivent être impérativement retrouvées et les coupables arrêtés. Une nouvelle dénonciation, peut être cette fois venue de Paris, va donc faire organiser une opération tout à fait inhabituelle, au regard de situations similaires précédentes, par son envergure et sa manière.

Au matin du 2 août 1944, le marquis de Roys comme à son habitude est le premier levé. Il ne peut s’empêcher de pressentir que cette journée n’est pas comme d’habitude, mais rien ne vient le lui confirmer. Il part alors vers le parc, faire sa tournée du matin, rentre déjeuner, et repart vaquer à d’autres occupations.

L’après-midi avance, il est environ 3 heures, trois heures trente. C’est alors qu’il entend très au loin des inhabituels bruits de camions et de motos. Il voit les allemands s’approchant de Saint Ange. Il comprend, il est certain que c’est pour lui. Sa décision est vite prise, car il sait qu’il n’a pas d’autre choix que de se cacher dans un endroit à la fois sûr et proche.

Aussi par le haut de la maison, le petit parc, il gagne le bâtiment de la bouverie de la ferme attenante, d’où il sait qu’on n’ira jamais le chercher là.

Du haut de la charpente où il s’est commodément installé, il peut observer tout ce qui se passe, depuis la route de Villecerf, dans la cour de la ferme et une grande partie de Saint Ange. Il peut aussi, en revenant le long du mur du petit parc, se déplacer sans trop de risques, et de là entendre des conversations. Les Allemands sont venus avec deux camions et des voitures. Un camion va stationner à la grille de l’entrée principale, l’autre aller plus loin.

Les allemands en descendent, un groupe remonte l’allée qui accède à la ferme, l’autre entre dans Saint Ange par l’allée de pavés. Ils marchent lentement, observant tout. Ceux qui sont entrés dans la cour de la ferme, commencent à poser en mauvais français des questions aux fermiers, les époux Raoul et Léone Cotelle et à leurs charretiers. Ont-ils vu, attendant derrière le petit portillon qui va de la ferme à Saint Ange, deux des enfants, Richard et Béatrice de Roys alors âgés de 7 et 6 ans, qui les observent étonnés derrière les barreaux ?

L’autre groupe qui est entré directement au château, observe, compte et interroge tout ce qui est visible et peut composer la maisonnée. Ils reconnaissent avec soin les lieux, regardent les chemins d’accès. Ils montent le grand escalier d’accès à la terrasse, d’où la marquise de Roys qui a fait rentrer tout son monde dans la maison, les observait.

Que se passe-t-il ? Certains allemands tentent de l’encercler ! Pour la capturer. ! au fur et à mesure qu’ils s’avancent, lentement d’ailleurs, elle s’éloigne avec la même lenteur, et un moment, ils s’arrêtent, redescendent l’escalier puis regagnent leurs véhicules, où les attendent ceux qui avaient inspecté la ferme. Ils démarrent en direction de Villecerf ; le soir va tomber, relativement tard en ce mois d’août. A la nuit tombante le marquis de Roys revient et s’isole avec sa femme, avant que les adultes, ayant couché et embrassé les enfants, entrent dans la salle à manger pour le dîner.

La nuit est maintenant tombée. Tous sont allés se coucher, certains inquiets de ces événements de la journée que le marquis de Roys s’est efforcé de tempérer avec son calme et son autorité habituelle. En son for intérieur, il sait que si quelque chose arrive, il ne pourra pas mettre en oeuvre ce qu’il a depuis longtemps préparé avec soin, l’évasion de toute la maisonnée par le parc et les Grands Bois, où un stock d’essence a été constitué pour approvisionner les véhicules nécessaires. Extinction des feux, la maison s’est endormie.

Elle est brutalement réveillée en pleine nuit par les aboiements des chiens, dont celui de Tobrouk le bas-rouge attaché au pied de l’escalier. Ce sont les allemands en force, une vingtaine sinon plus, qui encerclent toutes les issues de la maison et frappent à la porte d’entrée.

Le marquis de Roys, ayant passé une robe de chambre vient leur ouvrir. Il pense alors que personne de Villecerf où tous les nombreux véhicules allemands se sont regroupés, et ont embarqué leurs guides avant que de se séparer pour encercler le site, personne pendant ce long moment n’aura pensé ou pu le prévenir ou le faire prévenir.

Leur chef, qui n’est pas le major SS Korf qui aurait alors été reconnu par le marquis ou la marquise de Roys qui le connaissaient de vue, est certainement Büge le responsable du SD de Melun, sinon un major venu pour cela de Paris. Il demande en allemand à visiter la maison, chaque pièce de la maison une par une.

Le marquis de Roys va l’accompagner, pendant qu’un SS alsacien, reconnaissable à son accent, va rester en faction dans la chambre de sa femme.

Chaque pièce est inspectée par le major suivi de ses deux gardes armés. Il s’assure en regardant les dormeurs que ce sont bien là les enfants et les adultes de la maisonnée dont certainement il a dû connaître l’effectif.

Le marquis de Roys s’inquiète lorsqu’il lui faut ouvrir la porte de la chambre où dorment Midia-Estèra la réfugiée juive au si fort accent polonais et sa petite fille Janette. Pourvu que ces femmes ne parlent pas.. !!

Pour cette seule chambre, il entrera le premier, passant vivement devant le Major. Dans le même temps, il approche le quinquet de sa bouche pour qu’on voit bien sa figure et avec ses lèvres fait « chut ». Miracle ! Midia comprend et alors qu’elle est éveillée, elle va simuler un profond sommeil. Les allemands quittent la pièce, et vont à la suivante… La maison inspectée, le major gagne la chambre du marquis de Roys, et lui indique de se préparer à le suivre. C’est l’arrestation. En réponse, il demande à rester seul avec sa femme quelques instants pour lui dire Adieu. Le Major accepte mais exige que le SS reste en faction devant la fenêtre. Au plus tournera t’il à moitié le dos quand ils s’habilleront. La marquise de Roys ne dira jamais ce qu’auront été les derniers mots de son mari, ni les siens. Peut-être et tout simplement ne se sont-ils rien dit tant leur proximité était grande. Le temps accordé est passé, la porte s’ouvre, le major vient chercher le capitaine de Roys. Ce dernier est assis dans la bergère à gauche de la cheminée. Sa femme se tient près de lui face à la cheminée dans l’autre bergère.

Devant eux, une petite table avec un cendrier. Le marquis de Roys a joint ses mains, et fait glisser de son doigt la lourde chevalière familiale qui ne l’a jamais quitté. Il l’enferme dans sa main droite qu’il ferme doucement.

Avec un geste infiniment lent, il approche sa main fermée de la main gauche ouverte de sa femme, fait que celle-ci recouvre son poing. Inclinant légèrement le buste vers la cheminée, il s’approche de sa femme, place son poing fermé sous sa main, et conduit leurs deux mains au-dessus de la petite table. Lorsque son poing fermé couvre le cendrier, il l’ouvre et replace sa main alors largement ouverte au-dessus de celle de sa femme. La chevalière, ce si fort symbole familial, est sauvée.

Et, avec un dernier sourire, il se lève et la quitte avec les yeux.

La marquise de Roys ne reverra plus jamais son mari. Deux jours plus tard, au soir du 6 août elle distribuera les armes restées à Saint Ange aux responsables et aux hommes du réseau de Moret, réunis par Carles : Plateau, Florent, Auroy et Leblanc. Ce même soir plus tard, vers 22 heures trente, Carles et le groupe ayant traversé le parc de Saint Ange, retrouveront au Pimard, leur nouveau commandant qui les y attendait. Le Service continuait.

Jérôme de ROYS

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