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René de Roys - Chapitre IV - Le Déporté - Premiere partie

I° partie "de Fresnes à Dora"

15 août 1944 : Départ de Fresnes


En montant dans la voiture du major allemand, qui attend moteur en marche au pied de l’escalier de Saint Ange, le marquis de Roys, sa légère valise de cuir à la main, sa canne de l’autre, s’il ne sait pas où il va être conduit, sait que tout commencera par un interrogatoire. Il y a réfléchi depuis longtemps, et s’il redoute ces moments, il est prêt. En grand chrétien qu’il est, il a demandé demander à Dieu et à la Vierge Marie, le courage et la vertu nécessaires pour passer cette épreuve. L’automobile s’élance, descend lentement l’allée de pavés, franchit la grille,où elle retrouve les camions où la troupe s’est regroupée,auxquels elle donne le signal du retour et s’éloigne.

Rien n’a pu être ensuite formellement établi aujourd’hui malgré certains témoignages indirects, souvent partiels ou contradictoires des heures qui se succèdent et vont suivre. Nous ne pouvons que présumer du nom du major allemand qui a dirigé l’arrestation, vraisemblablement le Major Büge du S.D de Melun. La seule certitude étant que ce n’était pas Korff, le boucher de la Brosse Montceaux ; On sait cependant qu’il n’est pas conduit à la prison de Fontainebleau, sinon le livre d’écrou qui a été conservé, l’aurait inscrit dans sa rubrique « entrée » puis « sortie », de même pour le siège de la Kommandantur de Melun. A-t-il été conduit directement à Fresnes,cela parait improbable. C’est donc très certainement à la Gestapo de l’Avenue Foch ou à celle de la rue Lauriston. Mais aucun document définitif n’a pu l’établir ,ni surtout établir comment s’est déroulé cet interrogatoire,s’il a été torturé, et combien de temps il y est resté dans cette situation,avant que d’être conduit à la prison de Fresnes. Malgré le peu d‘effectif qu’ils y consacraient,le S.D. allemand de Seine et Marne était particulièrement bien renseigné sur la Résistance et ceux qui en faisaient partie. La délation n’avait hélas guère besoin d’être encouragée, elle avait été quotidienne et systématique,pas une ville, peu de village y auront échappé. Si bien que ce qui intéressait les allemands en ce mois d’août 1944, alors que les alliés n’étaient qu’à quelques kilomètres, c’était avant tout de savoir comment récupérer les armes plus que tout autre sujet.

Il va donc se passer 12 jours entre le départ au petit matin du 3 août et le départ de Fresnes du 15 août 1944,sur lesquels,nous ne savons quasiment rien.

Au petit matin de ce 15 août,les lourdes grilles puis les portes de la prison de Fresnes claquent faisant tout résonner dans ses longs couloirs de pierre, bruits traînards des sabots de certains détenus, bruits lourds des galoches des gardiens, bruits raides des bottes des soldats allemands. Les détenus sont particulièrement nerveux sinon angoissés comme s’ils pressentaient quelque choses d’effrayant. Certains chantent, d’autres hurlent,d’autres enfin sont prostrés, attendant à chaque instant d’être fusillés, d’autant que des coups de feu s’entendant à proximité de la prison. De l’insulte et l’invective à la supplication ,des pleurs de l’angoisse à la crise de nerfs,de l’autorité naturelle de ceux qui se révèlent des chefs, à la silencieuse prière chrétienne, tout le cortège des comportements s’exprime en désordre et en une infinie diversité.

Le capitaine de Roys est parvenu à établir et à organiser un petit groupe avec des camarades d’autres cellules. Ensembles, ils tiennent à montrer l’exemple. ils sont quatre qui ne vont plus se quitter jusqu’à la destination finale : Un normand devenu savoyard, le commandant de réserve Emile Roudey qui est quasiment du même âge, né en septembre 1898 à Louviers, un parisien un peu plus jeune Pierre Rolandey qui aura 41 ans dans dix jours, enfin le « petit jeune », le gamin , le nivernais Georges Reynaud qui vient tout juste de fêter ses 21 ans.

Il faut attendre midi, la chaleur forte qui s’est établie dans les bâtiments, pour que l’ordre soit donné de sortir des cellules et de regrouper le prisonniers dans la cour. Un alignement de camions, bâchés ou débâchés avec leurs ridelles en bois va encadrer les autobus réquisitionnés qui attendent,moteur en marche. Sur tous le pourtour des quatre coins de l’espace,des fusils mitrailleurs braqués depuis la porte de sortie du bâtiment accompagnent le trajet des prisonniers jusqu’aux véhicules. Celles des femmes qui sont restées dans la prison chantent la Marseillaise pour accompagner les hommes qui partent

Il faudra plus d’une heure pour que le convoi soit enfin prêt au départ .Le capitaine de Roys assis sur la banquette d’un autobus parisien avec ses 4 compagnons, en profite pour prendre son stylo plume qu’il a pu encore conserver ,et de sa belle écriture énergique, il va écrire un dernier message, concis,clair, exhaustif. Il sait, en pleine confiance, qu’il pourra le faire parvenir par quelqu’un lors du trajet vers cette destination qu’ils ignorent encore.

« 15.08.44

Envoyer ce mot

Geoffroy - 3 rue de l’Université

Paris

Comm. ROLANDEY, 22 bis Avenue Bertholet, Annecy

ROULEY,Emile,17 Impasse Saint Germain, Louviers Eure

RAYNAUD Georges 15 rue de la Comète 7°

René de ROYS !

Quittent la prison de Fresnes pour destination encore inconnue

Mais pleins d’espoir

Moral superbe

R.

Merci ! »

Pourquoi ne pas avoir un excellent moral, lorsque l’on sait que les américains sont quasiment arrivés, éclairés par la Résistance aux portes de Paris. « Radio Fresnes », la rumeur qui circule en permanence dans la prison, a même confirmé en ce matin du 15 août 1944 que les américains ont franchi la Seine,et ne sont plus qu’a quelques dizaines de kilomètres . Dès lors où les allemands ne massacrent pas les prisonniers, la libération est proche.

Les allemands,ce ne sont plus les vieux soldats qui réglaient le quotidien de la prison, particulièrement nerveux et fébriles ont sorti leur matraques. Ils invectivent sans cesse, hurlent, frappent à coups de crosses ceux qui n’obtempèrent pas assez vite, comme si toute cette violence,tout ce bruit allait organiser plus rapidement la mise en place. Enfin, alors qu’un soleil de plomb est tombé sur la cour de Fresnes, la lourde porte de la prison est ouverte et le convoi peut s’ébranler lentement, camions et autobus s’alternant, précédés ou suivis de leurs véhicules d’accompagnement, voitures, motos, side - car.

Dans chaque autobus, au plus trois SS l’arme à la bretelle debout sur la plate- forme regardent indifférents ; Quelle cible facile, si la Résistance voulait attaquer.. !! Très certainement, chacun doit en rêver.

La banlieue est traversée. Le convoi arrive à faible vitesse à la porte d’Orléans, traverse Paris par l’Observatoire, le boulevard Saint Michel, au bas duquel il s’arrête un instant pour se recaler avant de traverser la Seine. Les prisonniers peuvent alors observer les parisiens assis insouciants comme en vacances, aux terrasses de cafés qui les regardent dans la stupéfaction totale.

Est-ce à ce moment là que signe sera fait à un passant et le papier roulé contenant le message du capitaine de Roys, jeté avec adresse et ramassé. C’est, ce sera son dernier message direct.

Le convoi repart, traverse la Seine et remonte vers la gare de l’Est pour enfin arriver à la gare de Pantin la destination fixée, où il s’arrête lentement vers l’arrière de l’esplanade d’arrivée

Les passagers souvent ankylosés,leur valise à la main descendent dans la précipitation. Ils sont placés en colonne de trois ou de cinq. D’un côté les soldats âgés de la Wehrmacht, le fusil à l’épaule, de l’autre la troupe SS, la matraque à la main.

Comptés et recomptés,ils sont finalement regroupés de long d’un quai d’embarquement au dernier loin de la gare des marchandises,là où les voies forment déjà une légère courbe . Le train est là : 32 wagons à bestiaux et une locomotive ;

A son avant et l’arrière des wagons plats portant des batteries de mitrailleuses et des affûts anti- aériens,ensuite un wagon à passagers pour les gardiens et soldats allemands. Entre les deux les wagons de marchandises dits « 8 chevaux en long et 40 hommes »

puis approchés du quai où les attendent les wagons à bestiaux ;

Aucun employé français dans l’espace visible. Par de là les uniformes,les mitraillettes des SS et les fusils des soldats, ce sont des cheminots allemands reconnaissables à leur costumes uniformes bleu et leur casquette plate frappé à l’insigne de la Reichbahn qui s’affairent autour du convoi en cours de formation

Les prisonniers ignoraient bien sur que des négociations étaient en cours entre le consul de Suède Nordling et l’autorité militaire allemande,pour atténuer les brutalités et la sauvagerie des convois en espérant surtout pouvoir faire cesser enfin les convois vers l’Allemagne. En ce 15 août,elles n’auront apporté qu’un seul résultat : Au lieu d’être entassés à plus de 120 ou 150 comme lors des précédents convois,les prisonniers, hommes et femmes séparées,seront environ 80 par wagon,ces fameux 8+40.

Il est quinze heures,l’embarquement des prisonniers commence :Les 800 de Fresnes occupent les wagons au centre du convoi, ceux venus de Romainville sont arrivés un peu avant à la gare de Pantin,où ils ont retrouvés quelques prisonniers venus de la prison du Cherche Midi

Les femmes de Fresnes et de Romainville seront regroupées à l’arrière du quai en face des derniers wagons de queue.

Les wagons sont nus. Une médiocre lucarne éclaire le peu de paille qui recouvre les planches mal rabotées du plancher. Pas de couverture bien sur, pas de lavabos ni de toilettes, un bidon de tôle placé au centre fera office de tinette pour la durée du voyage. Et il règne déjà une chaleur éprouvante dans ces wagons. La chaleur s’y est emmagasinée, malgré la large porte coulissante largement ouverte. Peu après 14 heures et une attente qui a paru interminable sur le quai, l’ordre et donné d’embarquer. C’est alors une bousculade, car les prisonniers ont eu le temps de comprendre le nombre qu’ils seraient,et c’est à qui sera le premier pour trouver une place à l’appui d’une des 4 cloisons. Devant chaque porte restée ouverte,deux sentinelles allemandes montent une garde vigilante. Les prisonniers n’on encore rien bu depuis le départ de leur cellule.

Au milieu de l’après midi,un va et vient s’organise: C’est la Croix Rouge,avec ses infirmières souriantes portant le brassard blanc frappé de la croix rouge de leur fonction. Elles leur apportent d’abord à boire,puis chaque prisonnier reçoit alors une boule de pain et une boite de conserve. Ceux qui ont de la chance reçoivent en plus un colis individuel de trois kilos,qui contient confiture sucre, pain d’épice, crème de gruyère. Dans l’après midi un autre train est organisé sur une voie parallèle,où ils peuvent voir l’embarquement de français de la Milice et de nombre de ces fameuses « souris grises » les auxiliaires de la Wehrmacht.

Les portes des wagons vont rester ouvertes. Ceux qui leur font face commencent à se fatiguer,mais ne peuvent ni s’asseoir ni s’adosser durablement autrement que sur un camarade. Le soir arrive,avec lui une certaine fraîcheur. A la nuit tombée et avec elle une certaine angoisse va s’établir. Le train est toujours immobile. A 23 heures trente l’ordre est donné de fermer les portes des wagons.

Ce mardi 15 août 1944, il est 23 heures cinquante, le train s’ébranle, le convoi, celui qui sera plus tard baptisé « le dernier convoi » chargé des 2.400 détenus de la prison de Fresnes et du fort de Romainville est parti. Certains détenus verront encore les aiguilles de l’horloge de la gare marquer minuit. Le convoi va rouler avec une extrême lenteur toute la nuit, avant qu’il ne s’arrête juste avant la levée du jour dans le tunnel de Nanteuil qui précède la départementale 402 et le pont ferroviaire de Nanteuil qui franchit la Marne entre Nanteuil et Saacy. C’est encore la nuit. Dans le tunnel,où les allemands ont arrêté le train à dessein, puisque le convoi ne peut aller plus loin,c’est une attente angoissée : Le pont ferroviaire de Nanteuil - sur - Marne, après de nombreux bombardements est définitivement hors service après le dernier du 8 août, qui a détruit le tablier mais surtout deux des arches de pierre.

Après une longue attente,la matinée largement avancée,les allemands ouvrent les portes des wagons de tête,et font descendre sous bonne garde une première partie des prisonniers,wagon par wagon. Ils les font sortir par l’avant du tunnel. Attendant déjà sur le ballast, un nombre important de miliciens de civils allemands,et des « souris grise » s’affairent autour de bagages et de caisses qu’ils doivent descendre des wagons où se tenaient les allemands. Les SS et les soldats allemands intiment alors brutalement aux prisonniers français l’ordre de porter à bras tout cet attirail de caisses et de bagages, qui accompagnait leurs civils. Ce premier groupe de prisonniers va marcher plusieurs kilomètres jusqu’au pont routier de Nanteuil,qu’ils va traverser pour rejoindre la gare. Le train se remet alors en marche vers l’arrière et va refranchir le pont de Courcelles, puis s’arrêter. Tous les autres prisonniers restants en descendent. Ils occupent le ballast. Divisés en trois groupes,ils vont passer la Marne par le pont de Méry, où de la ils auront à effectuer une marche d’environ 6 kilomètres vers la gare de Nanteuil Saacy où un autre train les attend .Certains profiteront de ce trajet pour tenter avec succès de s’évader, d’autres seront repris. Des scènes terribles vont se produire,les prisonniers souvent faibles ou âgés devrant porter de lourdes caisses ,alors qu’ils n’en avaient pas la force,d’autre avaient peine à marcher.. Tout cela sans manger,sans boire,sauf si le hasard leur faisait rencontrer un villageois prêt à prendre le risque de les réconforter d’un peu d’eau ou d’un morceau de pain ou de chocolat

Fusionné avec un autre train, le convoi repartira au soir et n’arrivera à Nancy qu’au matin du 18 août. Entre le transbordement de Nanteuil Saacy avec ses tentatives d’évasion sauvagement réprimées,les conditions abominables dans certains wagons, c’est déjà une soixantaine de prisonniers qui vont laisser leur vie avant même l’arrivée à destination.

De la frontière à L’arrivée à Buchenwald

19 août 1944

Après Sarrebruck,Frankfort et Erfurt le train s’arrête le 19 août à minuit en gare de Weimar, l’ancienne capitale de la culture allemande celle de Cranach, de Goethe,de Schiller et de Czerny. Le convoi est alors divisé : Les wagons qui transportaient les femmes sont découplés. Ils repartiront, dès la fin de la manœuvre, pour Ravensbruck, par Halle et Berlin : Ce seront les 665 femmes des matricules 57.000. Pendant cette courte manœuvre,malgré ces journées de souffrance passées, wagon après wagon les voix de femmes s’élèvent dans cette première nuit allemande sans aucune étoile. Elles entonnent le chant des Adieux : « Ce n’est qu’un au revoir mes frères… » Extraordinaire situation d’entendre toutes ces femmes, Résistantes, militantes communistes, juives ou athées, reprendre toutes ensemble le vieux chant du scoutisme français.

Le train des hommes repart dans la nuit. 106 heures interminables de roulage et d’arrêts, de soif et de faim, de sommeil et de gène, d’angoisse et déjà de mort se seront écoulées lorsqu’il arrive à son terminus de Buchenwald dans le petit matin de ce bel été thuringeois.

Un dernier craquement des freins qui crissent en se serrant, des sifflements hoquetant des jets de vapeur,une très lente approche et il stoppe au milieu de la gare. Le silence est total, comme si un pressentiment s’était emparé des prisonniers .

Au petit matin du 20 août 1944,les portes s’ouvrent.

Sur le quai ce ne sont plus les mêmes soldats. Ce sont d’abord les chiens, chiens loups menaçants et féroces tenus au près par des laisses courtes. Les fusils ne sont portés que pour distribuer des coups de crosse sans aucun avertissement. Les ordres sont donnés forts et courts : « Heraus.. !! Linie.. !! ». Pas un seul des prisonniers ne va les contredire ou même tenter de ne pas les suivre strictement. Les morts de cet interminable trajet, sont débarqués des wagons et jetés pèle mêle sur la remorque d’un camion qui attend, moteur tournant, et qui va prendre très vite la route vers l’ouest

Par wagons, wagon après wagon, les hommes sont mis en colonne. Les gardes allemands avec leurs chiens s’intercalent tous les cinquante prisonniers environ. Ils sont par deux, toujours deux par deux avec un chien, du début jusqu’à la queue de ce long cortège où là, il y a un nombre plus important de gardes, prêts à le remonter rapidement, si cela leur apparaît nécessaire. On peut enfin prendre la mesure qu’il est composé de toute la diversité de la famille humaine : Des jeunes,des vieux,des très jeunes des très vieux,des bien habillés,des pauvres bougres, des riches et des pauvres,des faibles, des solides, tous encombrés de paquets, de valises et de sacs.

Et c’est la traversée de la sortie de la ville,où il y a encore des habitants,des enfants surtout,qui viennent l’insulte à la bouche, quand ils ne jettent pas des cailloux,des pommes de pin ou des morceaux de bois. Sur cette longue route droite pavée, l’ ombre est donnée par de magnifiques hêtres pourpres, encore dans leur frondaison verte et jaune du plein été. La chaussée est légèrement bombée comme le sont les routes de l’époque. Passés les premiers instants,les kilomètres s’ajoutant, c’est pour un nombre significatif l’effondrement. Beaucoup déjà n’en peuvent plus. Ils trébuchent, tombent, leurs voisins les encouragent, essayent de les aider, les relèvent, mais ils sont immédiatement stoppés par la chiourme SS. Pour l’exemple,les gardes attendent,comme en s’amusant d’un sport malsain, que les premiers prisonniers tombent à l’extérieur de la colonne, pour d’abord les faire reprendre par les chiens qui se jettent sur eux en mordant férocement, jusqu’à ce que leurs maîtres les arrêtent. Les hommes terrorisés, ne comprenant pas encore dans quelle barbare situation ils sont, parviennent encore une fois, deux fois à se relever, mais épuisés quelque centaines de mètres plus loin, s’ils n’ont pas été maintenus par leurs voisins, et s’ils tombent encore, ce sont alors les premiers coups de feu, de fusil, de mitraillette ou même de pistolet ajustés dans la tête si le malheureux est suffisamment proche de son tueur.

L’effroi saisit alors la colonne. Immédiatement la plus part de ceux qui sont forts,de ceux qui sentent qui le sont et peuvent l’être, vont se mettre à l’extérieur des faibles qu’ils vont ainsi s’efforcer de protéger. Et pourtant, la route est si belle, le temps magnifique,l’air à cette fraîcheur des forêts allemandes en été. Le capitaine de Roys aura-t-il alors pu savoir qu’il refaisait le même parcours que celui fait quelques mois plus tôt par son ami le docteur Eugène Moussoir et ses 76 ans…. Moins de deux heures plus tard, alors que l’immense majorité des prisonniers n’avait encore jamais encore marché ni à ce rythme ni sur une telle distance,la troupe approche de l’entrée des bâtiments du camp de Buchenwald

De loin une grande façade, bâtiment en longueur avec en son centre le large porche d’entrée, impose. La hauteur de l’Ettelsberg s’allonge ici en un plateau qui domine la magnifique plaine d’Iéna, où Napoléon avait jadis battu l’armée prussienne.

« Jedem das Seine »

A chacun son dû

est fièrement inscrit sur le fronton du porche, qui dès qu’il est franchi, va transformer uniformément tous les prisonniers qu’ils soient résistants, S.T.O, Juifs, droit commun ou autres, en « Häftling », en français des « détenus »

Passés le porche, les 1654 français partis de Fresnes sont parqués sur l’immense place d’appel, où sans information ni subsistance ils vont attendre plusieurs heures.

Enfin fractionnés en petits groupes,ils sont conduit à un premier bâtiment où les Schreiber,les détenus en charge de l’administration,vont leur donner un numéro matricule,à partir duquel leur nom et prénom disparaîtront et qu’ils auront à chaque injonction à devoir clamer en langue allemande de manière compréhensible

ils vont, vivre la première découverte de l’horreur, descendre le terrain assez pentu du camp entre les vastes rangées blocks des détenus et les baraques des crématoires, vers un premier bâtiment d’accueil où ils vont bientôt vivre après ces dures souffrances, leur première immense humiliation, le « Desinfektionsgebaüde »,l’antichambre de la déshumanisation. Dans la première pièce de ce block, la pièce du déshabillage,où ils sont rentrés par groupe de 40 à 50, ils reçoivent brutalement l’ordre de se dévêtir totalement et de mettre sur des planches posées sur des tréteaux leurs objets personnels sans aucune exception, y compris leur alliance. Les gardiens notent le tout scrupuleusement, avant que d’en faire un paquetage. René de ROYS va comme ses camarades devoir laisser son portefeuille avec son argent,ses papiers,ses photos,son stylo,s on briquet et son alliance. Il se souvient alors de sa prescience d’avoir pu laisser la chevalière familiale au creux de la main de sa femme à son départ de Saint Ange. Nus, ils sont poussés vers un seconde pièce où ils sont totalement rasés, la tête d’abord cheveux et sourcils mais aussi tous le poils du corps. Ce rasage est douloureux car il se fait à sec,sans la moindre précaution, aussi rapidement que possible, par des prisonniers sans aucune qualification dotés d’outils médiocres, satisfaits d’avoir la planque de faire un travail doux. La surveillance arrogante des Kapos veille à ce que cette besogne soit la plus humiliante possible. L’œuvre de déshumanisation est commencée.

Un médecin est là, qui regarde et note si les prisonniers ont des maladies, sans bien sur en tenir compte. Une courte douche par groupe,puis un par un,ils passent par la décontamination, qui va les doter un temps de cette odeur si caractéristique de grésil que l’on trouvait à la campagne dans les étables que l’on désinfectait : Un bain taré à 1 ou 2 % de créosote,où ils doivent rester plongés 10 à 15 minutes. Une fois sortis de ce bain et sans même pouvoir se sécher ils sont enduits au pinceau de Kubrex, le produit allemand anti - poux. Toujours nus, ils sont alors conduits, après avoir descendu un escalier de béton, à la salle d’habillage où ils reçoivent du « Effektenkammerskapo » l’uniforme rayé du détenu ,caleçon,pantalon,veste et un ridicule béret. Ils s’efforcent alors d’essayer de s’échanger les uns les autres les tailles correspondantes. Pas de chaussure ni même d’espadrilles,ils resteront pour le temps pieds nus.

Quand le groupe s’est reconstitué,poussé pas des Kapos vindicatifs ils sont poussés vers le

« Petit camp » dit encore le camp de toile ou camp de quarantaine, établi en contre bas du « Grand Camp » de Buchenwald, dont il est séparé par une clôture de barbelés. Sur le chemin,une odeur pestilentielle en ce torride mois d’août : les tinettes qui s’alignent sur des dizaines de mètres en plusieurs rangées : Des simples tranchées dans la terre avec des rambardes en bois de branches coupées,sur les quelles les détenus peuvent s’agripper. Les baraquement entourés de boue des ancienne écuries taillées pour loger 50 chevaux,vont abriter jusqu’à deux mille hommes. Pour les autres qui n’ont pu y trouver de place, de simple abris de toiles. C’est là que René de Roys les 77.000 vont devoir rester jusqu’au 3 septembre. Malgré cette situation, les contacts et la communication s’établissent en interne comme avec le Grand Camp. Les anciens savent ce qu’il faut penser de Dora ou d’Ellrich ou des autres Kommandos, où ceux qui n’auront pas le passe droit, seront ensuite transférés. Les solidarités jouent ; Les communistes allemands d’abord puis les français ensuite avaient pu parvenir avec la durée, à force d’intelligence, de persévérance et de tout autre moyen à éliminer de Buchenwald un par un, les plus sadiques et les plus sanguinaires des Kapos, généralement les « verts ». Ils les avaient sorti du camp en s’arrangeant pour les faisant déplacer par des motifs divers ou des complaisances aux SS, dans d’autres camps, parvenant ainsi à prendre seuls une autorité aussi importante qu’essentielle dans la globalité de l’administration et du fonctionnement de Buchenwald. Ils vont ainsi faire avec efficacité, tout leur possible pour « sauver » le maximum de leurs camarades arrivés au petit camp, en organisant leur affectation à Buchenwald. Pour nombre d’entre eux, près de 180, ce sera la possibilité de survie. Hélas pour René de Roys et bien de ses compagnons,la route devait continuer et pour le très grand nombre cette route sera Ellrich.

A la sortie,ils donnent à un sous -officier SS accompagné de deux Kapos au triangle rouge des détenus politiques en allemand leur numéros matricules.

Georges Tanchoux, jeune résistant passé par Fresnes,âgé d’à peine 23 ans,se déclare chauffeur de camion. Il reçoit le matricule 77.721. Le capitaine de Roys passe ensuite, il se nomme avec d’autant plus de dignité que la situation est humiliante : de Roys de Lédignan, René ; activité : Förster , ce qui veut dire Forestier. Est-ce par intuition,il va cacher sa fonction d’officier de cavalerie. Tout cela ne dure que le temps qu’il mémorise son numéro 77.722. Il ne pourra plus maintenant s’appeler autrement. Malheur à celui qui voudrait l’oublier ou ne parviendrait pas à le dire a ses tortionnaires dans la langue allemande à chacune des fois où il doit parler. Il est suivi par Roger Jones,ce dernier qui aura 40 ans dans quelques semaines se déclare lui aussi chauffeur,comme si tous se passaient ce mot,pour échapper à un trop lourd destin .

Le miracle humain se produit. Les français s’organisent,s’entraident encore, s’efforcent d’apprendre de comprendre. Ils parviennent à communiquer avec des détenus soit déportés arrivés avant eux, ou encore qui faisaient partis du même convoi depuis le départ de Fresnes, et de la marche de Buchenwald gare à Buchenwald camp et qu’ils n’avaient pas réussi encore à voir ou revoir. Parmi eux, réconfortante retrouvaille, un personnage exceptionnel,une légende de l’aumônerie de l’armée française ,que le capitaine de Roys avait connaissait depuis 1918 et l’hôpital militaire lors de sa blessure de 1918: L’abbé Georges Hénocque, héros de la première guerre mondiale qu’il avait terminé avec 11 citations et la rosette d’officier de la légion d’honneur avait été nommé aumônier de l’Ecole militaire de Saint – Cyr. Malgré ses 75 ans il avait été arrête et déporté. René de Roys avait bien cru l’apercevoir dans le train, mais il ne pouvait y croire. A peine entré au petit camp, il va s’efforcer de prendre contact avec lui, car ce prêtre,vaillant parmi les vaillants,met immédiatement sa personne au service de ces nouveaux arrivants, confesse ceux qui le désirent ,absout avec tendresse. Il garde dans les tréfonds de son nouvel uniforme rayé,qui vient de remplacer sa soutane, quelques miettes de pain qu’il a consacrera en cachette, toujours prêt à porter le sacrement de communion à celui qui le sollicite. Si cela s’apprend c’est pour l’abbé Georges Hénocque, la mort immédiate. Mais cela pèse peu : il sait que ce sera très certainement pour ses camarades détenus la dernière fois peut être qu’ils pourront recevoir le corps du Christ. Il sera à Buchenwald pour la capitaine de Roys un immense réconfort pendant ces journées de Buchenwald. Il reviendra,et pourra témoigner dans ses émouvants carnets, car son très grand âge le fera survivre à Buchenwald jusqu’en janvier 1945, d’où avant les marches de la mort,ce qui le sauvera,il sera transféré à Dachau.

24 août :

Alors que les détenus du petit camp,dont la première des priorités est pour ceux qui n’en ont pas perçu de trouver de quoi se chausser, claquettes de bois,assemblages de caoutchoux maintenu par des ficelles,savates,vont travaillent dans la carrière, la matinée est interrompue par le passage d’avion. Après la première surprise ils sont identifiés : Ce sont des avions amis aux cocardes américaines,mais ces avions viennent non pas pur saluer les détenus mais pour bombarder les usines de matériels d’armement sensibles,entre autre les gyroscopes des VI et V2 ; Au passage suivant,ils vont commencer de déverser des tonnes de bombes qui font s’aplatir les prisonniers comme les allemands soldats, SS ou civils qui n’ont guère d’endroits pour se cacher :300 détenus mouront ce jour là, mais aussi plus de 600 SS et gardiens.

Les journées vont se suivre dans le strict rythme du camp : Lever avant le jour,à 4 heures 30

appel sur la place d’appel, retour aux petit camp,médiocre et minimum soupe, travail aux pierres de la carrière ou au corvées de bois ou aux travaux de clôtures. Le soir,retour sur la place d’appel, parqués par blocks,des heures et des heures sans la moindre raison, jusqu'à ce que les kapos aient fini par trouver le nombre qu’ils veulent trouver ,retour au petit camp,et soupe du soir. Les punis du petit camp sont affectés au répugnant travail de vidange des latrines. Cela va durer jusqu’au petit matin du 1° septembre 1944,leur dernier jour à Buchenwald. Il commencera comme chaque jour par l’appel sur l’Appelplatz :

Ce jour là,cruauté sans raison, ce sera 18 heures debout sur la place d’appel, sans parler autrement que pour dire son numéro matricule en allemand, jusqu’a ce que sa diction en langue allemande soit compréhensible pour les SS. Pour ceux qui n’y arrivent pas, la schlage et les coups de botte jusqu'à ce qu’ils s’écroulent par terre. 18 heures sans boire ni manger, l’appel ne se termine qu’à 23 heures trente. Il sera alors trop tard pour avoir une soupe dans les baraques du Petit Camp : Une journée entière sans la moindre nourriture Dès le petit jour du 2 septembre après la soupe du matin et 300 grammes de pain de méteil, le convoi des déportés prend la route de sa nouvelle destination Dora. Tondus, encore pieds nus pour beaucoup, vêtus de leur maigre costume de toile rayée, leur départ est salué par la musique de la fanfare de l’orchestre du camp sous l’oeil cynique des Kapos et des SS,qui après une courte marche les font monter dans des camions. Ils ont laissé derrière eux un certain nombre de leurs camarades de leur convoi qui auront donc la chance de rester à Buchenwald et les 167 aviateurs alliés abattus en survolant la France que les nazis en toute dernière décision avaient fait embarquer dans leur train,mais n’oseront pas conduire vers le lieu de la mort certaine.

Il n’y aura pas de morts cette fois là de morts durant ce transfert. Aux mêmes endroits les gamins allemands jettent des pierres sur leur passage. A coup de Schlag et de Gummi, les SS les font embarquer dans les camions. Quelque heures plus tard, ils débarquent à la gare de Dora, d’ où ils repartent en colonne par cinq vers Dora - camp pour découvrir après une courte marche à pied, l’une des plus grandes et extraordinaires usines souterraines du III° Reich : Un nouvel enfer ,celui là encore plus dur encore plus répugnant.

Depuis la gare de Dora, poussés par les hurlements stridents des Kapos, après être passé devant l’entrée des tunnels et le camp des SS, ils arrivent enfin au camp des détenus : Immédiatement déshabillés,les Kapos les dirigent vers les douches ; A la sortie,des guenilles dépareillées leur sont distribuées. Les pyjamas rayés Buchenwald « de trop belle qualité » leur ont été retirés. Les « Verts » les trafiqueront avec les anciens détenus : Dora c’est l’univers des Verts, ces Kapos dont la couleur du triangle indique qu’ils sont des criminels allemands de droit commun,vermine brutale à qui les SS ont délégué le pouvoir d’autorité. La nuit est tombée,ils sont parqués,sans nourriture ni boisson dans des baraques surpeuplées. Dès l’aube ils devront, après l’appel, partir au travail

Dora ce sera à peine 4 jours,d’une nouvelle forme de souffrance,encore plus forte,encore plus permanente,dans des conditions encore plus insupportables,mais qu’il faut cependant supporter. Les anciens du camp,ceux qui sont là depuis le début,la période dont on ne survivait pas, leur racontent,leur montrent cet enfer de Dora, qu’il appelleront « le cimetière des français. Ils peuvent voir l’entrée des tunnel gardées par les SS et le chiens. La aussi,malgré la délation,des prêtres viennent à leur devant,les accueillent,portant la parole de Dieu et le corps du Christ. Ils ne donnent pas leur nom,Ils se consacrent à leur saint ministère,en s’efforçant de donner le plus possible à ceux qui n’ont plus rien. Plus le chemin vers la mort s’enfonce dans cette noire barbarie,plus la générosité et l’abnégation de ces hommes de Dieu vient au secours des hommes.

Le 5 septembre,le capitaine de Roys et les 1468 français des 77.000 et 78.000 sont embarqués depuis la gare du camp de Dora, et après une longue attente, dans d’autres camions qui vont emprunter la route, parallèle à la voie de chemin de fer qui traverse Niedersachswerfen, Woffleben, Cleysigngen pour s’arrêter à Ellrich - Gare, leur destination définitive, 12 kilomètres plus loin, le terminus de leur destinée,le camp au redoutable nom de code « ERIC ».

.Ils pensaient après les brutalités de Buchenwald et l’enfer de Dora avoir connu et vécu le pire et pourtant: Etienne Lafond - Masurel un des rares a être revenu d’Ellrich, dira bien sobrement en repensant à Dora : « Ce camp, déjà plus sévère que celui de Buchenwald, était pourtant un paradis en comparaison d’ Ellrich, camp d’extermination ».

Ils étaient entrés au centre de l’enfer .

Un autre des très rares survivants, Jacques Grandcoin, écrira à son retour en France :

« Buchenwald, Dora, Ellrich :

Si Dora c’était l’enfer pour les camarades de Buchenwald,

Ellrich était considéré comme l’enfer de ceux de Dora »


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